L’Afrique aide l’Afrique

Cinq questions sur une initiative tant renommée

Dr Amde-Michael Ketema, ophtalmologiste et citoyen luxembourgeois d’origine éthiopienne, est basé en Guinée, Conakry depuis 2007 où il a initié, et dirige aujourd’hui, le programme de formation en ophtalmologie DESSO. DESSO signifie Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées en Ophtalmologie.

Dr Ketema avait déjà suivi une formation de médecin généraliste avant de rejoindre la spécialisation de 4 ans en ophtalmologie au CHU de Nantes, en France. Il a ensuite travaillé au Centre Hospitalier Régional de Metz, France, de 1992 à 1996. En 1997, Dr Ketema rejoint CBM International dans le cadre du programme Vision 2020 pour travailler au Niger puis en Côte d’Ivoire jusqu’en 2006. En 2007, Dr Ketema devient ensuite directeur du programme de formation postuniversitaire en ophtalmologie pour l’Afrique de l’Ouest francophone.

Nous avons rencontré Dr Ketema au Luxembourg, alors qu’il rendait visite à sa famille, pour en savoir plus sur les débuts de DESSO et comment nous pouvons utiliser son expérience pour notre projet en Angola.

Cher Dr Ketema. Gudde Moien. On est heureux de vous avoir ici.

Q : Au fil des années, vous avez formé de jeunes médecins en ophtalmologie médicale et chirurgicale. Combien ? Comment ont-ils été sélectionnés ?

Dr. Michael Ketema (MK) : Le programme DESSO était initialement une formation accélérée intensive de 2 ans menant à un diplôme d’études supérieures. L’idée était de former un grand nombre d’ophtalmologistes en peu de temps pour contribuer à atténuer la grave pénurie d’ophtalmologistes dans les zones rurales d’Afrique de l’Ouest francophone.

Dr Ketema, centre, avec un groupe du projet DESSO, Guinée

Ainsi, 67 médecins généralistes issus de 6 pays francophones d’Afrique de l’Ouest ont été formés. Après 2 ou 3 ans de service rural, ils ont été rappelés pour terminer la formation supplémentaire de 3e et 4e année afin de terminer le programme d’études complet.

Nous avons désormais mis en place une formation ininterrompue sur 4 ans, et six étudiants effectuent actuellement leur 3ème année.

Le processus de sélection repose sur les critères suivants : le médecin doit être médecin généraliste, avoir au moins 2 ans d’expérience clinique, être âgé de moins de 35 ans et être francophone, car tout l’enseignement à DESSO est dispensé en français.

Q : C’est merveilleux d’entendre qu’autant de médecins ont été formés. Mais comment les empêcher de fuir vers un pays européen ou arabe plus riche et où ils seraient mieux rémunérés ?

MK : En effet, la fuite des cerveaux des médecins africains est très alarmante. Dans notre cas, nous aidons nos jeunes médecins à établir un cabinet privé après 17h et le samedi. Nous proposons des lampes à fente et des LIO (lentilles intraoculaires) à ceux qui acceptent un tel arrangement depuis quelques années. Nous donnons également accès à nos lasers, OCT, etc. à leurs patients privés.

Jusqu’à présent, cela semble fonctionner. Les médecins sont prêts à travailler dans les hôpitaux publics tout en gagnant de l’argent dans leurs cliniques privées. C’est une situation « win-win » pour tout le monde. Nous prévoyons également, en collaboration avec un fournisseur suisse d’équipements d’ophtalmologie et CBM-Suisse, de lancer un programme de prêt sans intérêt pour certains ophtalmologistes sélectionnés afin de les aider à se procurer du matériel coûteux. CBM-Luxembourg pourrait également se joindre à ce programme pour contribuer à limiter la fuite des cerveaux des ophtalmologistes africains.

Q : Le programme DESSO existe depuis des années. Dr Ketema, ne serait-il pas plus facile et plus efficace de faire venir des médecins européens par avion, avec tout leur équipement, pendant plusieurs semaines ?

MK : Je suis d’accord, c’est l’approche conventionnelle depuis de nombreuses années, et certaines organisations caritatives choisissent encore de travailler de cette façon. Je crois fermement que cette approche n’est pas durable, notamment pour le suivi post-opératoire. Pour moi, la formation de jeunes ophtalmologistes africains est la solution !

Les coûts liés à l’envoi de médecins par avion de cette manière sont également élevés. Pensez aux coûts des vols, des hôtels, du transport du matériel, etc. Ces coûts pourraient couvrir une partie importante de la formation d’un médecin local.

Nous faisons des exceptions, par exemple en faisant appel à des médecins experts dans les domaines où nous manquons de compétences et d’équipements, comme la chirurgie de la rétine, qui fonctionne très bien. Mais je crois que former des médecins locaux à la chirurgie oculaire est le meilleur moyen d’aider, le plus durable et le plus rentable.

Dr. Ketema untersucht die Augen eines Patienten

Q : Pouvez-vous imaginer que de tels programmes non-anglophones soient réalisables dans d’autres pays africains ?

MK : Je connais le programme lusophone qui est développé en Angola avec l’IONA (l’Institut National d’Ophtalmologie d’Angola) par CBM Luxembourg. C’est un défi et il faut s’y inscrire sur le long terme, mais c’est réalisable et c’est une vision merveilleuse pour les pays lusophones concernés.

Q : Qu’auriez-vous pour nous aider ? Et quels sont les plus grands défis ?

MK : CBM Luxembourg devrait encourager les quelques ophtalmologistes angolais à former d’autres jeunes médecins. Il est urgent de travailler avec le ministère de la Santé de l’Angola pour permettre à IONA d’être plus indépendante et plus stable financièrement. Cela permettrait à IONA de réinvestir dans l’amélioration des services de soins oculaires qu’elle fournit, d’encourager les ophtalmologistes et les infirmières avec quelques compléments et faciliterait ainsi la durabilité à long terme du programme.

Diane Wolter, Présidente de la Fondation CBM Luxembourg, rencontre le Dr Michael Ketema

Q : Votre message pour finir ?

MK : Un grand merci à CBM Luxembourg pour ses efforts incessants visant à contribuer à la formation d’ophtalmologistes et d’infirmières en ophtalmologie africains, et ainsi à réduire la cécité.

Nous vous remercions Dr Ketema.

Nous vous souhaitons, ainsi qu’à vos médecins et à tous vos patients, le meilleur.